27 sept. 2019, 10:57
Déjà visée par une information judiciaire pour son rôle durant le génocide au Rwanda en 1994, la banque française BNP Paribas (BNPP) est désormais accusée de «complicité de crimes internationaux» par neuf Soudanais soutenus par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH). Ceux-ci ont en effet déposé une plainte avec constitution de partie civile, le 26 septembre, devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de Paris pour «complicité de torture, de crimes contre l’humanité, de génocide, blanchiment et recel», d’après un communiqué de la FIDH.
Il est reproché à l’établissement financier de n’avoir pas respecté l’embargo qui pesait sur le pays alors dirigé par Omar el-Béchir, poussé vers la sortie en avril dernier après une révolte populaire de plusieurs mois, et d’avoir été la «banque centrale de facto de l’État soudanais», selon la FIDH. «Nous appelons les autorités judiciaires à ouvrir au plus vite une information judiciaire pour déterminer si la BNPP peut être considérée comme pénalement responsable pour avoir traité avec les autorités soudanaises», précise Michel Tubiana, avocat et Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme.
«Nous n’avons pas connaissance de l’ouverture d’une procédure pénale à ce jour. Et en tout état de cause nous ne commentons pas les procédures judiciaires», assure de son côté un porte-parole du groupe bancaire à l’AFP. Le doyen des juges d’instruction du tribunal de Paris devra désormais statuer sur la recevabilité de la plainte et décider, ou non, de lancer d’éventuelles investigations.
Une amende de 8,9 milliards d’euros aux Etats-Unis
Ce n’est pas la première fois que la plus importante banque française en termes d’actifs (2 140,2 milliards d’euros fin 2018), classée deuxième banque européenne d’après ce critère par S&P Global Market Intelligence, est mise en cause pour l’aide apportée à Omar el-Béchir. Déjà en 2015, BNPP avait été condamnée à une amende de 8,9 milliards de dollars (environ 8,15 milliards d’euros) aux Etats-Unis pour avoir violé les embargos américains sur plusieurs pays, dont le Soudan.
Le communiqué de la FIDH note qu’en ayant décidé de plaider coupable dans cette affaire «BNP Paribas a admis avoir agi en tant que banque étrangère des autorités soudanaises entre 2002 à 2008». Elle a ainsi «permis au régime el-Béchir d’accéder aux marchés financiers américains et a traité des transactions valant des milliards de dollars pour le compte des entités soudanaises», alors que le pays «était alors visé par plusieurs sanctions édictées par les Nations unies, les États-Unis et l’Union européenne, en raison notamment des graves crimes de guerre et contre l’humanité commis à l’encontre de civils soudanais».
La FIDH insiste par ailleurs sur le fait que «les victimes soudanaises n’ont finalement rien reçu au titre de réparations car le Congrès américain a alloué le produit de cette somme aux victimes d’attentats terroristes sur le sol américain». «Derrières les crimes et massacres les plus graves il y a toujours de l’argent. En permettant au régime soudanais d’accéder aux marchés financiers internationaux, la BNPP lui a permis de fonctionner, payer ses fonctionnaires et militaires, réaliser des achats à l’étranger, alors même que ce régime était mis au ban de la communauté internationale pour avoir planifié puis perpétré des crimes au Darfour», s’insurge pour sa part Patrick Baudoin, avocat et président d’honneur de la FIDH.
La fin du business à tous prix ?
Le document mis en ligne par la FIDH fait valoir qu’entre 2002 et 2008 «le gouvernement soudanais – en particulier ses forces militaires et de sécurité ainsi que les milices Janjawids – ont commis des violations massives des droits humains contre les civils». La région du Darfour est secouée par une guerre civile sanglante, qui, depuis 2003, aura fait au moins 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU.
Les avocats de la FIDH, en partenariat avec l’organisation Project Expedite Justice, mettent en lumière les témoignages «de neuf victimes de torture, de crimes contre l’humanité et de génocide commis au Soudan» ayant «souhaité porté plainte en France, afin qu’une enquête soit ouverte, portant cette fois sur la responsabilité pénale de la BNPP et de ses dirigeants».
Parmi elles, Abdalhaleim Hassan, qui affirme avoir perdu plusieurs membres de sa famille lors de l’attaque de son village au Darfour en 2003 et avoir été arrêté puis battu par les services secrets soudanais. Lors d’une conférence de presse organisée à Paris le 26 septembre, il a estimé que ces crimes contre l’humanité n’auraient pas «été possibles sans argent». «Sans l’aide de la BNP, le régime soudanais aurait peut-être quitté les lieux bien avant», a appuyé Emmanuel Daoud, avocat et auteur de la plainte.
Le président soudanais déchu, incarcéré dans une prison de Khartoum, est inculpé dans son pays pour «détention illégale de fonds étrangers et utilisation frauduleuse de ces fonds». Il risque dix ans de prison. Celui qui a dirigé le pays pendant 29 ans est visé par deux mandats d’arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour des crimes commis entre 2003 et 2008 au Darfour. Parmi les chefs d’accusation retenus contre lui figurent meurtre, viol, torture, pillage et transfert forcé. La CPI a conclu qu’il y avait «des motifs raisonnables de croire qu’Omar el-Béchir a agi avec l’intention spécifique de détruire» différents groupes ethniques. L’homme, âgé de 75 ans, a toujours fermement réfuté ces accusations. Plusieurs Etats membres de la CPI avaient d’ailleurs refusé de l’arrêter alors qu’il se trouvait sur leur territoire, comme l’Afrique du Sud ou la Jordanie, lui permettant ainsi de voyager sans encombres.
«Cette plainte s’inscrit dans un cadre plus général d’une action [de diverses ONG] qui vise à mettre en jeu un secteur un peu délaissé qui est celui de la responsabilité pénale des entreprises», se désole Patrick Baudouin. Car si BNPP est également soupçonnée de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité au Rwanda pour avoir financé en 1994 un achat d’armes au profit de la milice hutu, le cimentier Lafarge est lui aussi mis en cause, cette fois-ci en Syrie, pour «complicité de crimes contre l’humanité», «financement du terrorisme» au profit de l’organisation Etat islamique, «violation d’un embargo» et «mise en danger de la vie» d’anciens salariés de son usine de Jalabiya.
Note: Après le Rwanda c’est maintenant au tour du Soudan pour la BNP!