LE PLUS. “Que ça te serve de leçon !” C’est parfois ce que disent certains parents après avoir donné une gifle à leur enfant. Seulement la violence n’est-elle pas toujours contre-productive ? Réponse de la psychiatre Muriel Salmona, qui avait déjà pris position contre la fessée et autres punitions corporelles dans une tribune publiée la semaine dernière sur Le Plus.
Avec les punitions corporelles et psychologiques, ce qui est recherché en provoquant une douleur, une peur et un stress, c’est avant tout de sidérer l’enfant pour qu’il obéisse immédiatement, et de créer ensuite une aversion par un conditionnement pour qu’il ne recommence pas à avoir le même comportement.
Sidération et conditionnement sont des mécanismes neuro-biologiques traumatiques. Les enfants, du fait de leur immaturité neurologique, ont un cerveau très sensible à la douleur et au stress, bien plus que les adultes, et sont beaucoup plus exposés à des atteintes neurologiques et à des conséquences psychotraumatiques lors de violences même “minimes”. Et contrairement à des idées reçues, le fait qu’ils soient trop petits pour s’en souvenir ne signifie pas qu’il n’en seront pas traumatisés, c’est même l’inverse.
La sidération bloque l’enfant
La sidération est provoquée par une paralysie momentanée du cortex cérébral (la matière grise qui permet de comprendre, d’analyser, de prendre des décisions et d’agir) et de l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et des repères temporo-spatiaux), elle est liée au choc créé par la peur, la douleur et la surprise (1).
La sidération bloque l’enfant, ce qui est recherché par les punitions, mais lui fait perdre ses moyens. L’enfant sidéré ne va pas pouvoir parler, bouger, mobiliser sa mémoire, ni ses apprentissages.
Il ne ressent plus rien
De plus la paralysie corticale ne permet plus de moduler le stress provoqué par la réponse émotionnelle. L’amygdale cérébrale (petite structure sous-corticale) est à l’origine de cette réponse émotionnelle déclenchée automatiquement en cas de danger. Une fois allumée, elle fait produire par l’organisme des hormones de stress (adrénaline et cortisol) mais elle ne s’éteint pas toute seule, c’est le cortex et l’hippocampe avec leur pouvoir d’analyse de la situation qui peuvent la moduler et l’éteindre.
En cas de sidération, la modulation ne se fait pas, le stress monte et comme il représente un risque vital cardio-vasculaire et d’atteintes neurologiques, un mécanisme de sauvegarde se met alors en place pour éteindre de force la réponse émotionnelle en faisant disjoncter le circuit à l’aide de drogues puissantes sécrétées par le cerveau (2).
Brutalement l’enfant se retrouve alors en anesthésie émotionnelle, il se calme en effet, non parce qu’il l’a décidé mais parce qu’il ne ressent plus rien, ni émotion, ni douleur : il est déconnecté, comme absent et envahi par un sentiment d’irréalité, il peut se sentir spectateur de la situation, c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique.
La paralysie de l’enfant peut énerver le parent
La méconnaissance de ces mécanismes sont souvent à l’origine de recrudescences de violences de la part du parent.
Le parent, satisfait d’abord que l’enfant s’arrête immédiatement, est parfois encore plus énervé par la sidération de l’enfant qui, paralysé, ne répond pas aux questions, ne s’excuse pas, n’obéis pas aux ordres.
L’état de dissociation donne l’impression que l’enfant est indifférent à tout ce qu’il peut lui dire et lui faire, qu’il résiste à la douleur, et qu’il ne veut rien comprendre. Le parent interprète la sidération et la dissociation comme un défi. Le risque est important qu’il redouble de violence pour que l’enfant obtempère et présente ses excuses, ce dont il est incapable en raison de son état.
De plus, face à l’état de dissociation de l’enfant, le parent n’a plus de repères émotionnels, ni d’empathie, lui permettant d’évaluer la souffrance et la douleur qu’il provoque chez l’enfant (ses neurones miroirs ne peuvent pas lui renvoyer d’informations) et de contrôler sa violence en regard.
La mémoire traumatique poursuit l’enfant
Au-delà de la sidération, les violences éducatives ont également pour but de créer chez l’enfant “un conditionnement aversif” (un dressage) par la mise en place d’un autre mécanisme psychotraumatique qui fait suite à la disjonction : une mémoire traumatique. L’interruption des circuits de la mémoire lors de la disjonction empêche la mémoire émotionnelle d’être traitée par l’hippocampe et transformée en mémoire autobiographique et en apprentissage.
La mémoire émotionnelle reste bloquée et non-intégrée dans l’amygdale cérébrale, elle devient une machine à remonter le temps infernale qui fera revivre à l’enfant l’événement traumatisant à l’identique, comme s’il se reproduisait à nouveau, lorsqu’une situation les lui rappellera. Cette reviviscence entrainera les mêmes effets stressants, la même douleur et les mêmes sentiments de peur et d’humiliation que ceux ressentis lors des violences, l’enfant ré-entendra les mêmes phrases, et il sera à nouveau sidéré et dissocié.
Un monde imaginaire pour échapper au traumatisme
Pour échapper à cette mémoire traumatique l’enfant mettra en place des conduites d’évitement et de contrôle, celles-là mêmes qui sont recherchées par la violence éducative (aversion), mais qui pourront par la suite devenir invasives avec des phobies, des blocages, des troubles obsessionnels compulsifs, les enfants s’échappant dans un monde imaginaire, ce qui aura des répercussions sur leur sociabilité et leurs apprentissages.
Cette mémoire traumatique sera également à l’origine d’angoisses, d’une souffrance et d’une culpabilité durable, d’un manque d’estime de soi et de confiance en soi, d’un sentiment d’insécurité permanent, et d’un état de stress qui aura des répercussions sur la santé, l’appétit et le sommeil de l’enfant, ainsi que sur ses capacités de concentration, de mémorisation et son développement psycho-moteur.
Et ces enfants traumatisés en difficulté scolaire, dormant et mangeant mal seront considérés comme difficiles et encore plus à risque de subir des violences par des parents d’autant plus excédés, avec l’installation d’un cercle infernal.
La voix intérieure de la culpabilité
L’enfant, du fait de sa mémoire traumatique, ré-entendra continuellement les phrases culpabilisantes, humiliantes que son parent lui aura dites au moment des corrections : qu’il est nul, qu’il ne fera rien de sa vie, un méchant qui finira mal, quelqu’un de haïssable, etc.
Il ré-entendra les mêmes menaces : que ses parents ne vont plus l’aimer et que personne ne voudra de lui, menaces d’abandon, parfois même menaces de mort. Et l’enfant restera colonisé par ces “phrases assassines” qu’il finira par penser provenir de lui. Il aura une voix intérieure qui sans cesse l’invectivera, et il développera une piètre image de lui-même.
Et cette mémoire traumatique, si rien n’est fait pour la traiter et la désamorcer, s’installe dans la durée, elle perdure à l’âge adulte et devient rapidement de plus en plus difficile à éviter et à contrôler, une autre stratégie plus efficace pour y échapper se met alors en place pour l’éteindre et anesthésier : ce sont les conduites dissociantes.
L’enfant va devenir incontrôlable
Ces conduites dissociantes auront alors l’effet inverse de ce qui était escompté au départ. Il s’agissait de rendre l’enfant plus calme, soumis et obéissant, il va devenir agité, incontrôlable, se mettre en danger et pourra avoir des comportements violents à son tour vis-à-vis de lui-même ou d’autrui.
L’enfant pour s’anesthésier va rechercher compulsivement, sans comprendre pourquoi il le fait, un état de stress le plus élevé possible, que ce soit un stress psychologique ou physiologique, avec une agitation psycho-motrice, des conduites à risque et des mises en danger (jeux dangereux, sports extrêmes, etc.), des comportements violents contre soi ou contre autrui.
Cette production de stress provoque une disjonction qui éteint la mémoire traumatique et tout son cortège de peur, d’angoisse, de détresse et de souffrance.
La prise d’alcool et de drogue aura le même effet anesthésiant. Ces conduites dissociantes sont préjudiciables pour la sécurité et la santé des enfants et des adultes qu’ils seront, elles sont – avec la mémoire traumatique – à l’origine de troubles du comportement et de la personnalité, et également de troubles cognitifs, avec des retentissements sur les études, la vie sociale et professionnelle. Vouloir traiter des troubles du comportements ou des difficultés d’apprentissage des enfants par de la violence ne fait que les aggraver (3).
Enfant violent, futur parent violent
Ces conduites dissociantes expliquent également la reproduction de violences.
Un enfant qui aura subi des violences peut, dans une situation qui les lui rappelle, être envahi par celles-ci, par des cris, des paroles blessantes, des images de coups qu’il sera tenté de reproduire soit sur lui-même, soit sur autrui pour “se calmer”, en se dissociant pour échapper à cette flambée de mémoire traumatique.
Il en est de même pour un adulte lorsqu’il se retrouvera confronté avec ses propres enfants à des situations qui allumeront sa mémoire traumatique comme, un refus de manger, des cris, une mauvaise note, etc.
Il sera alors envahi par ce qui se passait dans son enfance : à la fois par sa détresse, les coups, les phrases humiliantes, la colère, voir par la haine de son parent. Cet ensemble peut provoquer chez lui la sensation d’exploser, et déclencher une compulsion à être violent. S’il ne s’oblige pas à se contrôler, il pourra alors reproduire cette scène de son passé en rejouant le rôle du parent violent ce qui lui permettra de se dissocier et d’éteindre son état de stress.
Il pourra alors considérer que c’est l’enfant qui le persécute et le met hors de lui (même si ce n’est qu’un nourrisson), et qu’il mérite donc d’être corrigé (4). Il sera sans pitié comme on l’a été avec lui. Il considérera à tort que l’enfant est intentionnellement méchant et destructeur. Il interprétera en toute incohérence des réactions normales de son enfant dues à l’âge, la fatigue, des douleurs, ou de la fièvre, comme des attaques et des défis à son égard.
Pour les parents la violence est non seulement un outil pour soumettre leur-s enfant-s, mais également une drogue anesthésiante qui les «calme». Connaître les mécanismes psychotraumatiques leur est essentiel pour renoncer aux violences éducatives et pour ne pas les reproduire sans fin.
Par Muriel Salmona
Psychiatre
bonjour je voulais ajouter deux livres ouverts les yeux je n’ai jamais été pour la fessée comme moyen éducatif comme je dis souvent on n’a jamais vu des animaux agressé leur bébé pour apprendre . ne sachant donner d’arguments plus professionnels à la lecture de ‘la féssée d’Olivier Maurel ”… Lire la suite »