Selon une récente étude, les insectes pourraient disparaître d'ici à un siècle. Henri-Pierre Aberlenc, chercheur et entomologiste, estime même que "c'est inéluctable, s'il n'y a pas un changement radical du système économique actuellement en vigueur".

Mouches, papillons, scarabées, abeilles... Au total, plus de 40% des insectes sont désormais classés en voie d'extinction. Une disparition tout aussi alarmante et problématique que celle d'espèces plus symboliques comme l'orang-outan, la girafe ou le rhinocéros. C'est ce qu'a démontré une vaste étude, publiée dans la revue Biological Conservation et dirigée par des chercheurs australiens des universités de Sydney et du Queensland. Ces derniers ont compilé et analysé 73 études sur l'évolution des populations d'insectes.

"La conclusion est claire : à moins que nous ne changions nos façons de produire nos aliments, les insectes auront pris le chemin de l'extinction en quelques décennies", indiquent les chercheurs. Depuis trente ans, la biomasse totale des insectes a diminué de 2,5% par an. Et il pourrait même disparaître complètement d'ici à un siècle. Leur taux d'extinction est huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux et des reptiles. Quelles sont les conséquences de cette disparition ? Et celle-ci est-elle inéluctable ? Franceinfo a posé ces questions à Henri-Pierre Aberlenc, entomologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Franceinfo : Que faut-il retenir de l'étude publiée par Biological Conservation 

Henri-Pierre Aberlenc : Il y a deux ans, des articles faisaient déjà état de la disparition des insectes, il y avait déjà eu beaucoup d'agitation de la part des médias. Mais, depuis, on n'en parle plus. Le principal mérite de ce rapport est d'enfoncer le clou et de relancer le débat sur le sujet.

En revanche, il y a un oubli très net de certains paramètres importants qui sont à l'origine de leur disparition, comme la pollution lumineuse, très néfaste notamment pour les insectes nocturnes. Les chercheurs ne citent que la pollution chimique par différents poisons.

Un autre paramètre qui a été minoré dans cette étude, c'est la déforestation des forêts primaires tropicales – c'est-à-dire des forêts telle que la nature les a faites, sans intervention de l'homme. Les forêts qui peuvent pousser à la place d'une forêt primaire ne recèlent qu'un pourcentage infime de la biodiversité présente dans les forêts primaires. La déforestation a un rôle important dans la disparition des insectes, voire même plus que les pesticides et l'agriculture intensive. 

Les forêts primaires détiennent l'essentiel de la biodiversité des insectes de la planète. En les détruisant, on fait disparaître des millions d'insectes.Henri-Pierre Aberlenc, entomologisteà franceinfo

La forêt joue un grand rôle contre les sécheresses. Les forêts ont besoin de population équilibrée d'insectes, qui soient en interaction avec les arbres et les plantes. C'est un ensemble qui s'autorégule. Donc, pas de forêt sans insectes.

Enfin, un dernier paramètre a été fortement oublié dans cette étude, c'est la circulation automobile, qui est aussi un facteur de destruction considérable de la faune.

Avez-vous des chiffres qui permettent de démontrer la disparition des insectes ? 

Personnellement, mes recherches ne se sont jamais basées sur des chiffres, mais sur mon expérience en tant que naturaliste. Sur le terrain, j'ai constaté un déclin flagrant. Par exemple, il y a une trentaine d'années, lorsque je ramassais des bousiers dans le Midi de la France, je pouvais voir des Copris, qui sont de beaux scarabées coprophages [qui se nourrit d'excréments]. En une heure d'exploration sur le terrain, je pouvais en trouver plusieurs dizaines. Or, il y a cinq ans, j'ai envoyé une étudiante au même endroit pour qu'elle fasse des recherches sur les mêmes bousiers. En trois mois de terrain, elle a vu un seul individu.

Cette disparition est très nette au niveau de l'apiculture avec le déclin des abeilles. Beaucoup d'apiculteurs ont perdu 100% de leurs abeilles et ont dû arrêter leur activité. La disparition des abeilles et les problèmes que rencontrent les apiculteurs sont un exemple particulier de la manière dont cela nous porte préjudice. On sait que l'on commence à avoir des déficits de pollinisation dans les champs cultivés du fait de la baisse des abeilles et des insectes sauvages.

En quoi le déclin de ces insectes est-il une mauvaise nouvelle ? 

Si l'on garde l'exemple des bousiers, ils ont pour fonction d'enterrer les excréments des animaux. Quand ils les enterrent, ils transforment ces excréments en engrais.  Si les bousiers disparaissent, les excréments deviennent un polluant qui ne fertilise plus le sol, ce qui est fâcheux pour les équilibres généraux de la nature.

Un autre exemple concerne le déficit de pollinisation. Les insectes jouent un rôle-clé dans l'équilibre des écosystèmes. Quand il est rompu, la vie ne peut plus fonctionner correctement. Certaines espèces vont continuer de proliférer alors que les autres disparaissent. On le voit notamment avec la pyrale du buis [introduite accidentellement en Europe dans les années 2000]. Cette chenille détruit les buis, car elle n'a pas d'ennemi naturel chez nous qui pourrait la manger ou la parasiter. Elle a été importée sans les espèces régulatrices.

Le rôle d'une partie des insectes est de réguler la biodiversité, comme tous les parasites et les prédateurs.Henri-Pierre Aberlenc, entomologisteà franceinfo

Les insectes jouent le rôle de régulateur et de nettoyeur, mais aussi de nourriture pour les poissons et les oiseaux. Si on a hérité d'une belle planète, c'est dû à la présence des insectes et des oiseaux. Sans eux, la planète est inhabitable. Une agriculture biologique ne peut se faire sans insectes, et il ne peut y avoir de gestion forestière ou des plantes sans eux.

Si on supprime les insectes, on supprime aussi des quantités d'oiseaux et de chauve-souris, ainsi que de différents vertébrés.

Cette disparition est-elle inéluctable ? 

C'est inéluctable s'il n'y a pas un changement radical du système économique actuellement en vigueur. Or, pour l'instant, ce système a peu de raisons de changer radicalement, parce que cela dérangerait trop de personnes. Je pense que malheureusement, c'est inévitable et que nous allons à une catastrophe.

Il sera trop tard quand on s'apercevra que l'on aurait dû faire quelque chose. Je ne suis pas très optimiste, mais je ne vois pas comment on peut modifier la façon dont fonctionne actuellement l'économie mondiale.

C'est la modernisation de l'économie qui détruit la biodiversité.Henri-Pierre Aberlenc, entomologisteà franceinfo

Pour sauver les insectes, il faut offrir des services pour une agriculture durable, c'est-à-dire raisonnée et biologique. Mais il faudrait aussi renoncer à la mythologie de la croissance dans les pays développés. C'est-à-dire prôner la frugalité et une austérité généralisée, mais qui ne seraient tolérables que par des politiques égalitaires.

Source : https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/sans-eux-la-planete-est-inhabitable-on-a-demande-a-un-specialiste-s-il-fallait-s-inquieter-de-la-disparition-des-insectes_3188297.html#xtor=EPR-2-


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2 Commentaires
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Joule
Membre
Joule
Fév 18, 2019 11:39 am

Il faut se rappeler qu’il n’y a pas que l’abeille qui pollinise,
beaucoup d’autres insectes le font aussi,
mais eux aussi disparaissent en même temps, aujourd’hui…

ymdougoud
Membre
ymdougoud
Fév 19, 2019 4:25 am
Répondre à  Joule

Tres bien observé. Bien d’autres chaque pollinisateur s’est spécialisé sur parfois une seule espece vegétale et reciproquement . Donc dans le meme temps on peut observer la raréfaction d’autant d’especes végétales que de pollinisateurs. D’autre part on oublie le rôle de bacteries et champignons qui sont liés à la biologie… Lire la suite »