Catherine Baker a écrit en 1985 le livre « Insoumission à l'école obligatoire». Lisant ce livre pour la deuxième fois, je le trouve toujours aussi intelligent et libérateur.
C'est un assemblage d'extraits du début du livre, ceux qui m'ont paru drôles, fins, faits de bon sens. Quand elle écrit le livre, sa fille Marie a 14 ans, n'a jamais mis les pieds dans l'école privé ou publique. Elle et sa mère, ont parfois fréquenté des lieux, où les familles d'enfants déscolarisés se rejoignent comme La Barque, qui exista à Paris de 1973 à 1977.
Ce n'est pas une critique pour s'indigner encore de l'école, c'est un rappel des évidences... Une raison de plus pour être l'humain libre, souverain, qui brûle au fond, d'exister dans ce monde. Un encouragement pour garder ses enfants près de soi, jusqu'à ce qu'ils soient prêt à l'autonomie.

Insoumission à l'école obligatoire, Catherine Baker, Edition Tahin Party. Gratuit, version pdf.
https://tahin-party.org/textes/cbaker.pdf

Catherine Baker ne rêve pas d’une société sans école, mais d’individu-es qui n’auraient pas été plié-es, tordu-es, rompu-es sous le joug social. En évitant l’école à sa fille, elle veut simplement lui permettre une amplitude nécessaire au saisissement du monde, comme bon lui semble. En s’adressant à Marie publiquement, l’auteure nous offre des outils pour nous approprier le monde à notre tour, et avant tout le feu qui brûle chacun de ses mots.

Introduction

Tu as quatorze ans et j’ai pris la responsabilité de ne pas t’avoir mise à l’école. Depuis trois années à peu près, j’estime que mon rôle de tutrice est accompli et je te dois des comptes. Alors voici ce livre.

Je connais assez le milieu des pédagogues (ne souris pas, c’est vraiment comme ça qu’on les appelle) pour savoir qu’ils me lisent avec sournoiserie. Ils cherchent la faille, elle est toute trouvée et béante : ils m’emmerdent. Leur masochisme m’emmerde. Je ne joue leur jeu que de page en page autant que ça m’amuse. Trois petits tours et je m’en vais.

Coûte que coûte, les adultes veulent faire l’école aux gamins. Pourquoi ? Pourquoi cette angoisse réelle des parents par rapport aux apprentissages scolaires ? On a quasiment l’impression d’une névrose collective. Il y a là un traumatisme à rechercher. Un traumatisme qui remonte forcément au temps de l’école…

Ceux qui nous dirigent aujourd’hui (ou ce qui nous dirige aujourd’hui) exigent (ou exige) de nous d’abord de la dureté ; il faut éliminer les faibles, tous ; après quoi, parmi les forts, il faut briser ceux qui auraient quelque velléité d’être personnels, on a besoin d’hommes inhumains.
À l’école, c’est primaire mais nécessaire de le répéter, on apprend à obéir (instits, profs, pions, conseillers d’éducation, censeurs, proviseurs, tous ont comme première fonction de sauvegarder l’ordre et la discipline). L’essentiel est d’ordre disciplinaire, il ne peut en être autrement et c’est pourquoi l’État concède à l’Éducation nationale le premier budget civil de la nation.

En attendant, le mépris évident que les adultes nourrissent à leur égard vient de ce que les enfants sont matériellement à leur merci, n’ayant aucun moyen d’acquérir leur indépendance financière ; ils sont dits adultes lorsqu’ils deviennent productifs.

Contre tout ce qui est obligatoire

Il m’est d’abord agréable, mon amour, de te faire remarquer que l’enseignement est un droit, non un devoir. Mais il semblerait que ce ne soit pas de cette oreille que l’entendent nos mentors. L’école en France n’est pas obligatoire, le serait-elle que bien entendu cela ne changerait rien à mes batteries. L’instruction l’est. C’est bien pourquoi je ne t’en donne absolument aucune. Mais que m’importe la loi française puisque c’est mondialement qu’on exploite la cervelle des petits. Partout, on enseignede gré ou de force « pour le bien de l’humanité ». Partout, tu trouveras, sous toutes les latitudes, les mêmes règles scolaires : on te fait entrer dans le troupeau des gens nés la même année que toi, on t’oblige à écouter quelqu’un, ce quelqu’un que tu n’as pas choisi qui ne t’a pas choisie est payé pour te mettre, quels qu’en soient les moyens, certaines choses dans le crâne, lesquelles choses sont choisies par les États qui, enfin de course, sélectionnent par les diplômes la place qu’ils t’assignent dans leur société. Ton espace est aussi clôturé que ton temps : tu ne peux participer d’aucune manière à la vie de ceux qui ne sont pas en âge d’être scolairement conscrits.

Ça va peut-être encore mieux en le disant, ce n’est pas parce que nous n’avons pas été heureux à l’école que nous voulons en sauver nos enfants, mais parce que nous avons pris conscience qu’on s’était servi de notre jeunesse à des fins mercantiles de rentabilisation de notre société. Qu’on ne nous répète pas alors, de grâce : « Mais vous savez, ce n’est plus comme de votre temps ! C’est très joli et gentil. » Ce n’est pas la question.

Marie, si tu savais comme cela m’a affligée d’entendre tant de fois tant d’années tant de gens différents m’assurer que « les enfants sont heureux à l’école ». Je le sais bien ! J’en étais le plus bel exemple ! Le petit voyage que nous avons fait chez ceux qui avaient choisi la liberté d’instruction m’a confirmée dans une chose que j’avais déjà constatée à la Barque; quand j’ai interrogé les parents sur leur scolarité, j’ai eu deux réponses : il y avait ceux qui avaient adoré l’école, avaient fait des études brillantes et puis, en minorité, les cancres, ceux qui avaient toujours refusé l’agacement scolaire. Les premiers avaient pris conscience de leur aliénation plus tard que les seconds et savaient bien que c’était cette « satisfaction » même d’être à l’école qui les avait empêchés de voir clair.

Dickens a dénoncé le travail obligatoire et l’école obligatoire. Plus près de nous, Krishnamurti a demandé instamment aux personnes qui aimaient les enfants de soustraire ceux-ci à l’école et de leur donner l’instruction « quelque part, au coin de la rue ou dans leurs propres maisons».

Les enfants vont à l’école parce qu’on les y oblige. C’est la première chose à regarder en face. Mais le pire, c’est qu’on nous oblige, adultes, à ne pas y aller ! Si elle n’était jamais obligatoire, une école qu’il resterait à imaginer pourrait intéresser l’un ou l’autre à un moment de sa vie.

Les diplômes
Pour cela, bien entendu, le plus urgent à faire est de rendre illégaux les diplômes. Illich avec les signataires du Manifeste de Cuernavaca insiste beaucoup là-dessus. Il faut empêcher toute discrimination fondée sur la scolarité. Il est absurde et injuste de juger (en bien et en mal) un homme sur son passé scolaire. Qu’est-ce que c’est que cette pratique qui consiste à se renseigner sur tel ou tel pour savoir s’il s’est montré dans son jeune âge capable de répéter ce qu’on lui demandait de répéter ? Ça rime à quoi ? Il faut supprimer les diplômes comme le casier judiciaire et pour les mêmes raisons.
N’importe qui pourrait accéder aux facultés et à tout ce qui devrait fort à propos les remplacer. Craindrait-on, par extraordinaire, qu’il n’y ait trop de monde ? Si l’on supprimait les diplômes, gageons qu’on ne se bousculerait pas aux portes…Tout le monde sait que les diplômes n’ont ordinairement aucun rapport, même lointain, avec la qualification qu’on demande pour un emploi. Pour un travail réclamant telle ou telle compétence, le désir de réussir et une période d’essai ne seraient-ils pas des gages plus sérieux que le casier scolaire ? Nous connaissons tous des gens qui seraient profondément heureux de pouvoir en former d’autres autour d’eux à ce qu’ils aiment faire.

Former, contraindre, dans les lieux communs
L’obligation scolaire n’est pas, bien sûr, l’obligation d’apprendre mais d’apprendre à l’école. Pourquoi ce temps de six à seize ans ? Et pourquoi cet espace divisé en des classes et une cour ? De six à seize ans, c’est clair et personne ne s’en cache, « parce que l’esprit de l’enfant est malléable », c’est toujours cette idée de la cire molle qu’il faut marquer d’un sceau. Les diplômes font de l’esprit scellé une lettre qu’on peut envoyer dès lors à son employeur destinataire. Quant au lieu… « Qui vit en classe vit nécessairement dans un lieu commun. » Edmond Gilliard dit bien d’autres belles évidences. Lieu commun de la banalisation et d’un dispositif de contrôle que Michel Foucault a décrit avec perspicacité. Avant même de former l’esprit, on forme le corps qui doit se lever, s’asseoir, manger, chier, pisser, dormir aux heures convenues.
Parmi mes amis taulards, j’ai souvent été frappée d’entendre : « On nous traite en prison pire qu’à l’école ! » Il s’agit bien de normaliser et de faire rentrer dans le rang. L’enfant et le délinquant « font des bêtises », l’un et l’autre « doivent être l’objet d’une surveillance constante », il faut leur « serrer la vis » car « ils se croient tout permis », « ils ne se rendent même pas compte de ce qu’ils font ».

Etablir une norme au service de l'état
En un sens, le pouvoir de normalisation contraint à l’homogénéité ; mais il individualise en permettant de mesurer les écarts, de déterminer les niveaux, de fixer les spécialités et de rendre les différences utiles en les ajustant les unes aux autres. On comprend que le pouvoir de la norme fonctionne facilement à l’intérieur d’un système de l’égalité formelle, puisqu’à l’intérieur d’une homogénéité qui est la règle, il introduit, comme un impératif utile et le résultat d’une mesure, tout le dégradé des différences individuelles. »
Tu comprends bien que si l’école ne formait qu’une collectivité, nous aurions quelques réflexes de défense contre la confection en série. Mais c’est bien pire que ça, c’est en tant qu’individu que chacun est surveillé, moulé, « orienté » et finalement isolé des autres. À l’école, on n’est jamais seul et on est toujours isolé. Tu imagines ce qu’est une salle d’examen ou de concours ? Chacun abandonné à ce qu’on veut soutirer de lui comme preuve de sa conformité.
Nous sommes propriété d’État. Chacun. Et nous n’en saisissons pas immédiatement l’horreur parce que nous avons été bel et bien formés à tel servage. Depuis Constantin et Théodose au IVe siècle, et pendant environ mille trois cents ans, l’Église a été l’âme de l’État. Mais dès que le déclin de l’Église s’est manifesté, il a fallu que l’État trouve de toute urgence le moyen de se faire admettre dans les esprits et ce de façon aussi totalitaire que l’Église y était parvenue. La tâche était rude. Comment plier les esprits à la convenance des nécessités étatiques ? Il s’agissait de rien moins que de créer en quelque sorte des superstitions. Les « serviteurs » et « commis » de l’État rendirent alors l’école obligatoire et le « programme » (entends la programmation) uniforme pour tout citoyen. Désormais, chacun est entraîné à penser comme les maîtres et à obéir.

Ce serpent qui se mord la queue, qui légitime sa force par ses coups (qu’est-ce qu’un coup d’État ?) est une institution n’ayant d’autre finalité qu’elle-même. Je ne veux pas que l’État suce ma moelle. J’ai besoin de toutes mes énergies pour vivre et mourir. Pas seulement. J’ai aussi besoin de toutes les énergies des autres pour pouvoir les aimer, car je ne peux les aimer que dans leur souveraineté.

Ce passage de la Critique du programme de Gotha où Marx s’indigne de « la folie qui consiste à confier l’enfant de l’exploité aux bons soins de l’exploiteur ».

Il est toujours bon de prendre du pouvoir même si on ne prend pas le pouvoir. Et je suis réformiste quand ça me plaît de réformer. En attendant l’abolition de l’école, je suis pour sa séparation d’avec l’État. Pour les écoles privées ? Oui, pour les écoles privées de tout. Qu’il soit interdit de payer l’enseignement ni en espèces comme dans les écoles dites libres, ni en nature comme dans les écoles laïques.

Quoi de plus cocasse que ces gens qui nous demandent si nous sommes nombreux ? Le fait d’être un ou plusieurs ne change les choses que pour les mass media, sauf à reprendre cette idée que l’union fait la force (maxime dont on peut vérifier à chaque instant l’absurdité). Il ne s’agit pas là de valeur quantitative. La femme qui se croise soudain les bras dans l’atelier et refuse de finir le centième col de chemise de la journée ne joue pas le même rôle que d’autres qui ensemble arrêteront les machines et, par exemple, se les approprieront. L’action de la première n’est pas plus ni moins utile ; elle peut être plus révolutionnaire que celle des autres (parce que dans tel ou tel cas plus consciente, plus
déterminée, plus personnelle), pas forcément d’ailleurs car l’échec est toujours possible, qu’on soit une ou dix mille, c’est-à-dire quand d’arrêter les machines ne donne à gagner ni en joie ni en intelligence. En l’occurrence, Marie, chacune de nous deux, dans cette grève contre l’école, sait où sont ses gains.

Une dernière pour la route
« Comment fera Marie, plus tard, pour faire ce qui lui sera pénible ? » Mais elle ne saura pas !répondais-je. On me regardait, consterné. Eux savent. Ce sont les bien-pensants. D’une classe à l’autre,ils connaissent les convenances,toutes.


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